Etonné depuis quelque jours par le nombre faramineux d’amendements (140000) déposés par les députés de l’opposition concernant la loi sur l’énergie et la privatisation de GDF, je suis allé vérifier l’information sur le site de l’Assemblée Nationale.
Ce site fort complet référence tous les travaux de ladite Assemblée. Tout ce que nos élus font y est librement consultable. C’est le bénéfice d’une démocratie qui s’appuie sur la transparence de l’Internet, donc, autant en profiter!
Donc, sur la page concernant la Loi sur le Secteur de l’Energie, on peut trouver la liste des amendements, qui sont consolidés dans un fichier PDF de 3169 pages.
Oh surprise! Il n’y a pas véritablement 140000 amendements, mais en fait à peine 660. Donc, rien d’extraordinaire. Je me disais tout de même, comment les députés pourraient-ils être si prolixes? En fait, ils ne le sont pas tant que cela. D’où vient la différence? Simplement, de ce que la plupart des amendements sont déposés simultanément par plusieurs dizaines de députés, parfois avec quelques variantes. Les amendements peuvent être rédigés aussi bien par les assistants parlementaires des députés que par des spécialistes du sujet au sein des partis politiques. Voire de groupes influents externes : syndicats, associations de consommateurs, etc, dont les députés se font le relai.
Vous aviez peut-être vu cette pile de documents dans cette photo représentant le Président de l’Assemblée Nationale, Jean-Louis Debré, montrant de façon ironique cette pile de papiers représentant les ammendements. On pouvait croire que les 130000 amendements nécessitait l’impression de cette quantité de papier. C’est effectivement ce qu’il aurait probablement fallu pour imprimer plusieurs dizaines milliers de pages. En comptant approximativement, il aurait fallu au moins 560 ramettes de papier de 500 pages. Il y en a environ 500 dans la pile de Debré. En fait, chaque pavé représente probablement la totalité des amendements, sur ces 3169 pages imprimées sur un papier de faible grammage. Donc, un pavé par député!
Donc, il y a moins de quoi effrayer les citoyens sur les abus de cette procédure de blocage. Ceci étant, ces amendements sont toujours bien trop nombreux. Ils mélangent du sérieux et du fansaisiste. Côté fantaisiste, on trouve cette “série” d’amendements “indexés” de 38470 à 39349:
Dans la première phrase de l’alinéa 2 de cet article, après les mots :
« du foyer »,
insérer les mots :
« , à l’exception du président directeur général de la société Accor, ».
EXPOSÉ SOMMAIRE: Cet amendement vise, en vertu du principe de justice sociale, à ne pas étendre le bénéfice de la tarification spéciale de solidarité au dirigeant d’un groupe de l’indice CAC 40 qui a perçu 2 millions d’euros de rémunération en 2005 (en hausse de 23 % sur 2004), sans compter 112 000 stocks-options attribuées.
Et de le répéter pour tous les PDG du CAC40… Il est intéressant de voir à quel point les députés traitent des cas particuliers dans les lois au lieu de s’occuper des cas généraux.
Ce qui est curieux dans tout cela, c’est que la gauche n’a même pas relevé cette bizarrerie, toute fière qu’elle était de sa belle procédure d’obstruction du débat parlementaire. Le PS avait déposé plus de 30000 amendements et le PC avait surenchéri avec plus de 90000. Remettre les pendules à l’heure leur ferait perdre la face. Heureusement, une partie de la presse écrite a relevé le pot au roses.
Sans compter que sur le fond, on s’y perd un peu car il n’y a pas de véritable réflexion macro-économique dans les médias sur le sujet. Pas de comparaisons objectives avec les autres pays. Les “anti-privatisation” promettent des hausses de prix inéluctables en cas de privatisation! Mais j’ai pourtant remarqué que ma facture de gaz avait bien augmenté, et sans privatisation!
Je reste philosophe car la privatisation de France Télécom du temps de Jospin avait fait autant de bruit en 1997. Voir par exemple cet article sur le site de l’Humanité qui pourrait s’appliquer aujourd’hui mot pour mot à GDF! Il n’empêche que je suis bien content d’avoir une ligne Free avec téléphone gratuit – y compris pour l’étranger – pour presque deux fois moins cher que l’offre équivalente de France Télécom…
Sur le fond, il me semble qu’il reste toujours possible de privatiser GDF, tout en encadrant cette privatisation pour éviter les travers dénoncés par les syndicats et par l’opposition. Que ce soit sur le contrôle des prix (la France a bien défini pendant des dizaines d’années le prix du pain alors que les boulangers étaient tous dans le privé) ou dans la prise de participation de l’étranger. Avec cependant le besoin de respecter les directives de Bruxelles. Mais cela, la gauche comme la droite n’y coupera pas!
Le texte de loi le prévoit d’ailleurs bien de telles dispositions: “des commissaires du Gouvernement pourront être nommés dans le nouveau groupe et dans ses filiales, notamment celles en charge d’activités régulées. L’État conservera par ailleurs ses prérogatives en matière de définition des missions de service public et de contrôle de leur bonne exécution, d’organisation du marché, et de mise en place du cadre réglementaire.
Afin de permettre la protection des consommateurs et l’adaptation de nos entreprises au nouveau contexte énergétique européen, le Gouvernement a retenu dans ce projet de loi des dispositions qui ont trait :
– aux principes de l’ouverture des marchés, au maintien des tarifs régulés, et à la création d’un tarif social pour le gaz naturel (titre Ier) ;
– à la transposition des directives européennes en ce qui concerne la distribution d’électricité et de gaz naturel tout en garantissant le maintien d’un service commun à EDF et Gaz de France (titre II) ;
– aux dispositions permettant la fusion entre Suez et Gaz de France, et au contrôle de l’État sur les actifs stratégiques concourrant à la sécurité d’approvisionnement nationale (titre III) ;
– aux dispositions améliorant la protection du consommateur pour ce qui concerne les contrats de fourniture d’électricité et de gaz naturel (titre IV).”
Mais les détails comptent effectivement et une discussion constructive à l’Assemblée pourrait en théorie générer une “bonne loi” convenant à tous. Mais à quoi bon ces amendements puisque l’opposition déclare ne pas vouloir voter la loi quoi qu’il arrive, plutôt que de conditionner son vote par justement, l’adoption d’amendements bien ciblés? Par exemple, une régulation rigoureuse des tarifs devrait être maintenue tant que les consommateurs n’auront pas véritablement de choix alternatif à GDF pour s’approvisionner en gaz. Ce qui risque de durer quelques années au moins. L’émergence de ce genre de concurrents est en effet plus couteuse et lente que dans le monde des télécommunications, même si le dégroupement des lignes téléphoniques a été douloureux aux débuts.
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Lu dans Le Monde d’aujourd’hui samedi:
“Une illustration qui souffrait du défaut de ne pas préciser que les piles exposées sur le bureau de la présidence n’étaient que du papier blanc : 275 ramettes, débarrassées de leur emballage, soit 27 500 feuilles censées représenter l’équivalent en volume des 137 500 amendements qui devraient être distribués à chaque député”.
Une belle mise en scène que Le Monde a donc bien relevé!
Si je suis globalement d’accord avec le fond de l’article (l’obstruction n’est pas constructive) en revanche, je ne peux pas accepter que l’on considère que Free propose un service équivalent à France Telecom. En quelque sorte, Free est l’équivalent de l’Open Source (qu’il utilise, d’ailleurs, intensément) quand FT repose davantage sur un modèle traditionnel à la Microsoft. L’ouverture du marché à la concurrence a réveillé FT et c’est bien. Mais il demeure qu’un service public est nécessaire et que ce service a un coût. Les consommateurs qui cherchent le meilleur tarif ne doivent pas s’attendre à un service de qualité équivalent. Je crains que le succès de Free ne se fasse qu’en contrepartie de subventions accordées à FT auquel s’impose des servitudes comme celui de desservir le moindre petit village.
Par ailleurs, le retour sur la parole donnée laisse un goût amer qui n’est pas de nature à redorer l’image des hommes politiques.
Dans cette histoire, il y a surtout une exagération de l’obstruction! Elle a été mise en scène par Jean-Louis Debré et relayée sans broncher par les médias “chauds” (radios, télés).
Et cette obstruction est effectivement injustifiée sur certains amendements. Ainsi, ceux que j’évoque concernant les patrons du CAC 40 n’ont rien à faire là dedans. Autant indiquer une limite de revenu ou de tranche d’impôt pour plafonner le droit d’accès aux aides concernées. La loi se doit d’être équitable et d’appliquer des critères objectifs. Par ailleurs, ce genre d’élément est plus approprié dans un décret d’application que dans une loi. Les députés ont actuellement tendance à mettre trop de détails dans les lois. Par certains côtés, cela leur permet de grignotter du pouvoir sur l’exécutif et sur l’administration. Mais de l’autre, cela fait inscrire dans la loi des composantes qui sont mouvantes et devraient relever de l’exécutif (seuils financiers divers pour les impôts ou autres subventions).
Pour ce qui est de Free, bien sûr, l’analogie a des limites. La principale est que, une fois l’infrastructure mise en place (connectivité avec le réseau FT et serveurs), il n’y a pas de matière première à fournir (comme le gaz). C’est de l’immatériel. Donc, les économies d’échelle pour un concurrent de l’acteur dominant sont plus faciles à obtenir.
FT a certes des devoirs lié à son ancien statut de monopole. Mais ils les compensent par leur part de marché, des économies d’échelle, et des prix plus élevés. Le tout se retrouvant dans un compte d’exploitation qui est plus que profitable (leurs difficultés passées étant surtout liées aux dettes conséquentes à leurs différentes acquisitions comme celle d’Orange).